Photo de couverture OCS MCDO

Les polémiques et crises touchant les entreprises s’enchaînent et se succèdent sur les réseaux sociaux. Certaines s’embrasent en quelques minutes, occupant instantanément l’espace médiatique, tandis que d’autres échappent à ce coup de projecteur et se font plus discrètes. À cet égard, la semaine du 12 octobre a été riche d’enseignements. En effet, deux entreprises ont été prises à partie, McDonald’s et OCS (du groupe Orange). Deux crises qui touchent deux entreprises d’envergure, à deux jours d’intervalle, mais qui diffèrent tant par leur origine, que par leur portée et leur impact.

McDonald’s sur le grill : Mediapart et Streetpress lancent l’offensive

Le 12 octobre, Mediapart et Streetpress publient une enquête conjointe sur McDonald’s en recueillant 78 témoignages de salariés qui décrivent un environnement où la violence professionnelle est « systémique ». Cette enquête fait suite à une plainte qui avait été déposée par une coalition internationale de syndicats devant l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le 18 mai dernier. Dans pas moins de 5 articles fouillés, Mediapart et Streetpress mettent à jour des situations de sexisme, d’agressions sexuelles et de harcèlement moral chez McDonald’s, tant dans les restaurants franchisés qu’au sein du siège.

Une polémique qui ne décolle pas malgré la puissance de l’écosystème digital des deux journaux en ligne

Malgré la mobilisation de l’écosystème digital de Mediapart et Streetpress (relais des articles par les comptes officiels des médias et journalistes), ainsi que l’emploi de termes clés et hautement sensibles dans les titres des articles (« harcèlement », « sexisme », « grossophobie »…), la polémique ne prend pas. Au total, seuls 7 000 tweets* ont relayé l’enquête, principalement publié dans les 24 heures suivant sa publication. On observe un léger sursaut le 16 octobre, correspondant à la manifestation de salariés de McDonald’s devant le siège du groupe, mais cet événement est insuffisant pour relancer la machine.

Evolution nombre de Tweets polémique McDo

L’observation plus attentive de l’évolution du nombre de tweets, par heure, montre que 2 heures après la publication des articles, le volume de tweets atteint son acmé, chutant ainsi rapidement :

Tweets polémique McDo par heure

Des relais qui fonctionnent en vase clos

Malgré l’exhaustivité de l’enquête et la puissance des comptes réseaux sociaux sollicités, la polémique n’est pas sortie du cadre de l’écosystème Mediapart/Streetpress. Si d’autres médias ont relayé l’enquête, comme Le Monde, L’Obs ou Libération, le nombre de retweets apparaît limité.

Ainsi, la totalité des top tweets sur le sujet est occupée par les comptes, journalistes et médias, de Streetpress et Mediapart :

Top Tweets McDo

Ce fonctionnement en vase clos est visible dans la cartographie des conversations Twitter autour de l’enquête. Les noeuds d’influence qui émergent, classés par degré pondéré (qui prend en considération le volume de tweets émis et les mentions/retweets reçus par les différents comptes), font quasi tous intervenir les comptes des deux journaux en ligne, en plus des comptes de McDonald’s France et du collectif McDroits, qui lutte contre les discriminations et le harcèlement. Le changement d’algorithme pour la détermination de la taille des noeuds, en se focalisant cette fois-ci sur les principaux relais d’information (Betweenness Centrality), change peu la donne : aucun nouveau compte n’émerge et seuls les comptes de Mathieu Molard (rédacteur en chef de Streetpress) et de McDroits apparaissent plus volumineux, signes qu’ils ont été les principaux propagateurs de l’enquête.

Cartographie conversations Twitter McDo

On peut ainsi conclure qu’en l’absence de relais influents hors médias, la crise reste enfermée sur elle-même. Le sujet n’est pas parvenu à toucher et mobiliser les relais d’influence sur les thématiques sociétales que sont le féminisme/sexisme, la grossophobie ou encore le harcèlement au travail. Des relais essentiels pour la viralisation d’une cause.

Une stratégie de réponse désincarnée

Selon Mediapart, la direction de McDonald’s France n’a pas répondu aux différentes sollicitations du journal mais s’est exprimée en mettant en avant la diversité des profils des équipes du groupe. Un message qu’a réaffirmé le groupe sur Twitter, via son compte corporate McDonald’s France Newsroom, en soulignant dans un thread le bien-être des collaborateurs du groupe à travers des statistiques internes.


Si cette réponse, purement digitale, peut s’expliquer par la faible ampleur prise par la polémique, elle interroge à la fois sur sa crédibilité (d’où proviennent les chiffres avancés ?) et sur son manque d’incarnation. Une désincarnation qui est également à rapporter aux éléments de langage portés depuis plusieurs mois par le groupe et qui visent à limiter sa responsabilité juridique en se défaussant sur les franchisés. À travers cette prise de parole sans visage, McDonald’s confirme donc son caractère « nébuleux » et désincarné, ce qui peut véhiculer l’image d’une entreprise déshumanisée.

Un seul tweet fait trembler OCS

Si la polémique McDonald’s est purement médiatique, selon la typologie dressée par Nicolas Vanderbeist, dans la mesure où elle a été initiée par des médias, une autre polémique, quelques jours plus tard, elle purement digitale et spontanée, a eu, contre toute attente, une forte viralité.

Le compte @KevinKent_, disposant de moins de 500 abonnés, a interpellé sur Twitter OCS en publiant une capture d’un mail de réponse d’un de leur recruteur qui se moquait des origines de son patronyme et de son lieu de résidence. Ce mail, visiblement destiné à un collaborateur interne, a été envoyé par inadvertance au candidat. Une erreur qui a coûté cher au groupe puisqu’en quelques heures, le tweet a généré des dizaines de milliers de likes et retweets. De nombreux internautes ont alors annoncé leur intention de se désabonner de la chaîne.


Le groupe OCS a fait preuve de réactivité en contactant directement le candidat par téléphone via la Directrice des ressources humaines, qui a présenté ses excuses et a demandé au salarié incriminé d’en faire autant. Un rendez-vous entre le recruteur et le candidat doit être organisé à cet effet. Cette crise a été reprise par quelques médias, dont Le Figaro, Europe 1 et Le Parisien.

 

Par un jeu de miroir, ces deux polémiques permettent de rappeler que le niveau de viralité d’une crise n’est pas fonction de la puissance de la source émettrice. Même orchestrée avec un écosystème digital influent, une enquête journaliste ne conduit pas nécessairement au déclenchement d’une crise virale. Il serait toutefois hâtif de conclure que la polémique McDonald’s n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Cette enquête n’a certes pas été en mesure d’ébranler le groupe de restauration, mais elle introduit toutefois une brèche, qui pourra par la suite être exploitée. C’est donc un signal à prendre très au sérieux car la prochaine crise pourrait être d’une toute autre ampleur.

*Data issue de la plateforme d’analyse Visibrain.

Thomas Osorio

Directeur digital